La Vergonha : l'éradication des patois (14/08/2022)
La IIIème République a mené une politique agressive pour éradiquer les langues provinciales qu'elles soient Romanes, Celtiques, Basques ou Germaniques, afin qu'il ne reste plus que le Français officiel sur son territoire. Pour cela, elle a ridiculisé ces parlers et humilié leurs locuteurs, notamment à l'école où les méthodes étaient assez violentes contre les enfants. Le but recherché et atteint était que les futures générations n'osent plus parler les "Patois" qui étaient à la fois un frein la centralisation du pouvoir et au formatage à la nouvelle identité nationale du citoyen de la République une et indivisible.
Les Occitans appellent ce processus la Vergonha (prononcé [veʀˈɡuɲɔ] / "Vèrgougno" chez nous) qui siginifie "La Honte".
Les Prémices
Même si la Vergonha concerne la IIIème République, nombreux sont ceux à considérer qu'elle a été inspirée par des politiques antérieures.
François Ier : le Latin était la langue administrative officielle de la France pendant de nombreux siècles, pourtant elle n'était guère parlée que par les élites du royaume et les religieux, ce qui posait de nombreux problèmes de compréhension pour le reste de la population. Pour palier cela, il arrivait que des provinces utilisent leur propre langue ou le Français pour la rédaction de certains textes. De son côté, la royauté était souvent en conflit politique avec la papauté, chacun cherchant à réduire l'influence de l'autre à son profit.
Afin d'affirmer son pouvoir sur ses terres face à l'Eglise, en 1539 François Ier signa l'Ordonnance de Villers-Cotterêts qui évinçait le Latin et promouvait le Français comme seule langue administrative officielle. Cela dit, elle n'interdisait nullement l'usage des patois dans la vie quotidienne ni dans la littérature. D'ailleurs l'ordonnance dit que le Latin doit être remplacé par le "Langage maternel Francoys", or la langue maternelle de la plupart des sujets du Roi n'étant pas le Français que peu de monde comprenait, des juristes ont alors interprétés cela comme une validation des langues maternelles locales et ont rédigés des document dans leurs langages provinciaux. Il n'empêche que l'ordonnance a quand même permis un pas vers la prépondérance du Français, une vision péjorative des patois et la centralisation en faveur du pouvoir Parisien.
La Révolution Française : à la fin de l'Ancien Régime, on estime que seulement 10% à 25% des sujets du royaume parlaient couramment Français, chacun s'exprimant dans son langage vernaculaire. Cela ne convenait point aux Jacobins qui avaient une vision unitaire de la Nation, tous les citoyens devant avoir la même culture et donc communiquer dans le même parler. A cela s'ajoutait pour eux la difficulté de traduire la propagande et les lois républicaines dans tous les dialectes, ce qui était extrêmement coûteux en temps comme en argent. En 1794, l'Abbé Grégoire écrivait le rapport "Sur la nécessité et les moyens d’anéantir le Patois, et d’universaliser l’usage de la langue Française" tandis que Talleyrand travaillait aux réformes de l'instruction publique et l'uniformisation de la langue Française. La même année, la Ière République décidait que seul le Français serait autorisé dans les administrations et dans les écoles.
La IIIème République
Les mesures prises depuis la Révolution ont permis de faire considérablement avancer l'apprentissage du Français, mais n'ont pas fait disparaître les dialectes locaux qui restaient encore très vivaces, tant à la campagne que dans les villes. Les enfants continuaient de parler comme leurs parents et leurs voisins avaient coutume de le faire, d'autant plus dans les communes où les élus locaux ou les curés ne jouaient pas le jeu des Jacobins. Dans les zones Occitanes on trouvait même nombre d'enseignants qui éprouvaient toujours une grande admiration pour la langue des troubadours.
Alors l'école laïque, gratuite et obligatoire de Jules Ferry prit des mesures radicales pour faire taire ces régionalismes qui menaçaient la nouvelle 'identité de la République une et indivisible, et ce dès 1881. Les instituteurs, les fameux "Hussards Noirs de la République" avaient pour mission d'unifier la Nation non seulement en continuant d'enseigner le Français officiel, mais surtout en faisant mourir les langues vernaculaires en punissant sévèrement les jeunes "Patoisants".
Le 1er article des règlements intérieur des écoles du Puy-de-Dôme stipulaient: "il est interdit de parler patois et de cracher par terre", mettant donc le parler local au même rang que la grossièreté et la saleté. On voyait la même chose en Bretagne, encore que leur langue était désignée comme étant le Breton et non comme un vulgaire patois. Les langues d'Oc, l'Occitan, l'Auvergnat... Ces termes n'existaient même plus pour la République. Dans d'autres régions, l'article 1er pouvait être: "Soyez propres, parlez Français".
Ceux qui enfreignaient cette règle étaient humiliés et/ou châtiés corporellement. Les instituteurs les grondaient, les traitaient d'ignares, de rustres, leur disaient que leur idiome n'était qu'une forme de Français dégénéré pour illettrés. On leur tapait sur les doigts, on leur mettait un panneau avec écrit "Je parle patois" autour du cou, un bonnet d'âne sur la tête, on les envoyait au coin, voire à genou sur une règle en fer en-dessous du règlement intérieur, on les faisait moquer par leurs camarades de classe...
L'école républicaine utilisait aussi le "Symbole", dit aussi le "Signum" ou le "Sinhal", un objet qui différait selon les régions: ce pouvait être un sabot, un fer à cheval, une pierre, une brique, un bâton, une ardoise, un papier, ou n'importe quoi d'autre. Il était donné à un élève surpris en train de parler un dialecte en classe, pour que tout le monde sache qu'il sera puni en fin de journée par des corvées, des devoirs, une retenue ou encore un des châtiments déjà cité précédemment. Mais il pouvait y échapper, tout simplement en surprenant un autre élève en train de parler patois à la récréation auquel il pourrait donner le symbole. En gros, les patoisants se faisaient passer le sinhal et la punition était pour le dernier à l'avoir reçu à la fin de la journée. C'était une méthode efficace pour empêcher la naissance de solidarité entre réfractaires et encourager leur dénonciation.
L'objectif affiché était de traumatiser les jeunes générations pour qu'elles s'éloignent définitivement de leurs langues maternelles.
Bilan
Alors, la Vergonha, efficace ? Sans aucun doute ! Les anciens ont tellement été choqués par celle politique que certains n'osaient même plus parler leurs dialectes en-dehors de leur cercle proche, parfois même pas devant leurs enfants de peur qu'ils soient réprimandés à l'école comme eux en prononçant des mots interdits. Tout l'Hexagone parle aujourd'hui le Français, pas forcément avec un très bon niveau mais quasiment plus personne ne parle Occitan, ni Bourbonnais, ni aucune autre langue régionale, quoique l'Alsace et la Lorraine plusieurs fois rattachées à l'Allemagne ont subies moins longtemps la politique de l'école républicaine et ont été mieux préservé. Et si on demande pourquoi, la réponse sera souvent que ça ne sert à rien, que ça ne se parle plus, que c'est un truc de vieux, que la France doit parler Français, quand on ne dit pas que même le Français commence à être dépassé...
Le succès de l'école vient aussi du manque de résistance qu'elle a rencontré. Non pas que des régionalistes ne se soient pas opposés, mais ils étaient incapables de faire front commun. Par exemple chez nous, nous avons des Occitanistes et des Arvernistes:.
-Les 1ers estiment que tous les domaines de langue d'Oc devraient s'unir pour mettre en place et parler un Occitan standardisé;
-Tandis que les 2ds plaident plutôt pour la sauvegarde des spécificités régionales, donc de standardiser les "dialectes" à l'échelle des provinces et que l'Auvergne parle Auvergnat, le Limousin parle Limousin, etc...
En soit, cela tient plus de la querelle idéologique puisque de toutes façons la plupart des locuteurs des dialectes issus de l'Occitan arrivent à se comprendre entre eux.
Articles liés : Langues d'Auvergne - Révolution Française - Apprendre l'Auvergnat
19:10 | Tags : époque contemporaine, identité, occitan auvergnat | Lien permanent | Commentaires (0)